Etat des lieux

En 1982, la police technique et scientifique (P.T.S.) française n’existe tout simplement plus. Officiellement créés en 1943 par le gouvernement de Vichy, les laboratoires de police sont théoriquement au nombre de cinq : Paris, Lille, Lyon, Toulouse et Marseille.

Théoriquement, car en 1982, si les murs des laboratoires existent bien, ils n’abritent pas grand chose ; le matériel est vétuste ou hors service, le personnel démoralisé, sous-payé, mal formé, aucune technique nouvelle n’est appliquée ou seulement étudiée depuis quarante ans. Le grand Locard (1) est mort et enterré, ne laissant aucun héritier intellectuel au ministère de l’Intérieur.

Les laboratoires de police ne survivent qu’en broutant les lauriers fanés du passé. C’est la catastrophe, le désastre. La police technique et scientifique n’est plus qu’une épave qui surnage dans l’indifférence absolue de tous ceux qu’elle devrait pourtant intéresser au premier chef : le ministère de l’Intérieur, les magistrats, les avocats et, bien sûr, les justiciables.

Ce n’est que dix ans plus tard que LLR comprendra qu’en réalité cet état de fait arrangeait bien tout le monde :

Les magistrats: de formation purement littéraire, pour lesquels un rapport d’expertise scientifique de haut niveau est difficilement compréhensible, et rogne incontestablement la toute-puissance de l’inconcevable mais traditionnelle intime conviction.

Les avocats de la défense: mis en état d’infériorité devant des preuves matérielles établies.

Les enquêteurs: pour lesquels la religion de l’aveu – souvent obtenu par la force – constituait une reposante facilité.

Les experts: eux-mêmes, souvent sans compétence particulière (il n’existe aucun contrôle ou examen pour l’obtention du titre d’expert), que leurs conclusions floues n’engageaient pas, et qui conduisaient fréquemment à des contre expertises tout aussi nébuleuses débouchant sur une confortable incertitude.

Les jurés: supposés être un échantillonnage représentatif de la population – donc sans culture scientifique -, confrontés jusqu’alors à des données simples, l’aveu, les témoignages humains, les rapports des enquêteurs, le cornaquage du président de la Cour, les plaidoiries des avocats.

Les accusés coupables: qui pouvaient se reposer entièrement sur le talent oratoire de leur avocat en l’absence de preuve matérielle et en revenant sur leurs aveux.

Il n’y avait finalement que les innocents injustement accusés et leurs avocats que cette situation dérangeait… c’est-à-dire pas grand monde (en principe).

(1) Edmond Locard (1877-1966), créateur du laboratoire de criminalistique de Lyon, fut le fondateur de la police scientifique moderne .