Le blason terni
A la même époque (1985), la gendarmerie a de gros problèmes : elle souffre encore des séquelles de l’affaire Grégory et, aux yeux de la population gorgée de télévision, le gendarme reste le simple porte-serviette – pour ne pas dire Porte-Coton (1) – des policiers, d’autant que l’inefficacité de son service de relations publiques ne fait rien pour corriger cette image désastreuse. Ainsi que l’écrit à l’époque le colonel Allouis : « Les indices de mécontentement (…) à la hausse en décembre 1984 (…) sont également la conséquence des résultats moyens obtenus sur le terrain et des polémiques qui ont accompagné certaines affaires récentes. »

Un beau jour de cette année-là, LLR à la surprise de voir arriver au C.A.R.M.E. un officier de gendarmerie. C’est le capitaine Laval, responsable de la section de recherches de Bordeaux. LLR découvre alors quelque chose que, comme la majorité des Français, il ignorait totalement : la gendarmerie joue en fait le même rôle que la police dans les enquêtes criminelles, et dispose pour cela d’unités spécialisées : les sections de recherches, les brigades de recherches et même, dans les petites localités, les équipes de recherches.

Les deux principales différences entre police et gendarmerie sont les suivantes :

  • La police dépend du ministère de l’Intérieur et la gendarmerie du ministère des Armées ;
  • Le secteur de la police est limité aux villes de plus de 10.000 habitants, tandis que celui de la gendarmerie s’étend à toutes les localités inférieures à ce nombre. En réalité, cette séparation est très théorique car, dans une enquête, les magistrats sont maîtres d’oeuvre et peuvent à leur gré confier l’affaire à la police ou à la gendarmerie.

LLR apprend aussi que cette dernière souffre d’un grave handicap : elle ne dispose d’aucun laboratoire et doit confier l’analyse des indices matériels qu’elle collecte aux laboratoires de police, qui ne manifestent évidemment guère d’empressement à effectuer les travaux pour leurs concurrents directs. Dans ces conditions, il est évident qu’un laboratoire de pointe privé et indépendant serait le bienvenu pour la gendarmerie.

Laval et LLR passent une après-midi entière ensemble. L’officier est enthousiasmé, prédit un grand avenir au C.A.R.M.E. et propose sa collaboration, notamment pour la fourniture de documents et d’échantillons de référence : munitions, résidus de tir, prélèvements réalisés lors d’autopsies, fiches dactyloscopiques (fiches de relevés d’empreintes digitales), etc.

LLR accepte avec enthousiasme.

Quelques jours plus tard, le capitaine revient, accompagné de plusieurs juges d’instruction en stage dans son service.

Or, il se trouve que deux d’entre eux ont sur les bras des affaires délicates que les méthodes traditionnelles de police technique ne permettent pas de résoudre par manque de précision. Ils confient à LLR les expertises et, deux semaines plus tard, les résultats obtenus par le C.A.R.M.E. leur permettent de résoudre ces dossiers épineux, pour ne pas dire insolubles, et évitent surtout deux erreurs judiciaires quasi inévitables.

Dans le petit monde judiciaire, ces exploits vont rapidement faire boule de neige. Bientôt, il ne se passe guère une journée sans qu’un magistrat n’appelle LLR pour lui demander son aide. Pour la D.G.G.N.(Direction Générale de la Gendarmerie Nationale) qui, grâce au capitaine Laval, a découvert le C.A.R.M.E., celui-ci représente une fantastique opportunité pour redorer son blason bien terni.

Du jour au lendemain, la D.G.G.N. fait passer le message à toutes ses unités de recherches et, dans les affaires difficiles, saisit la moindre occasion d’informer les juges que désormais la gendarmerie travaille en collaboration étroite avec un laboratoire de haute technologie susceptible de résoudre scientifiquement les problèmes les plus épineux.

(1) A la cour du roi Louis XIV, le Porte-Coton était le personnage très important chargé d’essuyer les fesses royales après l’accomplissement de ses augustes défécations. Que le lecteur qui ne nous croit pas consulte les bons ouvrages historiques