l’Enfance de Loïc le Ribault

Loïc Le Ribault naît le 18 avril 1947 à Vannes, en Bretagne. Il grandit dans un environnement familial idéal, sa mère enseigne les sciences naturelles, son père est professeur de Lettres.

Indétrônable premier de classe, il rafle régulièrement les Prix d’Excellence. Très solitaire, alors que ses petits camarades regardent des bandes dessinées, lui se plonge déjà dans des ouvrages de sciences naturelles.

Dès l’âge de dix ans, il collectionne des insectes morts, s’intéresse vivement aux poissons, et la fosse commune devient sa cour de récréation, son île au trésor. Pour éviter que la maison ne se transforme en ossuaire, les parents Le Ribault offrent un microscope à leur rejeton, arguant que cela prendra moins de place que des squelettes entiers.

Ce jour-là débute une passion, qui n’ira qu’en grandissant, pour le monde de l’infiniment petit.

Loïc nous livre ici un souvenir d’époque…

PRÉMÉDITATION

Le 17 juin 1954, Pierre Mendès France (1907-1982) est élu Président du Conseil. Le 13 août de la même année, il lance les premières mesures officielles contre l’alcoolisme.
J’ai alors 7 ans, élève au collège Colbert de Cholet, en plein coeur de la Vendée, pays des mouchoirs rouges et de la chouannerie.
Pour mes camarades et moi-même, l’oeuvre de Pierre Mendès France va se traduire par deux nouveautés.

A l’époque, le concierge était un personnage important dans la vie de l’école. Vêtu d’une blouse grise, c’était lui qui sonnait la cloche indiquant le début et la fin des récréations. Le nôtre agitait l’objet avec prudence et parcimonie, depuis que celui-ci, brisant son axe de soutien rouillé par l’usage, était tombé en le ratant d’un cheveu.
Depuis cet évènement, nous observions avidement le concierge sonner la cloche à la fin des récréations dans l’espoir toujours déçu que le miracle ne se reproduirait pas.
Pendant celles-ci, muni d’un panier en osier tenu par une courroie de cuir passée derrière le cou, le concierge circulait dans la cour, objet de l’attention générale. Car son panier contenait des trésors alléchants : pains au chocolat, réglisses, bonbons et bien d’autres friandises qui nous faisaient saliver. Il allait tôt le matin en ville chez le boulanger-pâtissier qui lui faisait un prix, et nous revendait sa marchandise avec un bénéfice très modeste. Bien sûr, pour satisfaire nos envies, il nous fallait un peu d’argent, et certains d’entre nous en étaient toujours dépourvus. Alors, en cachette, notre concierge offrait des friandises à nos camarades démunis. C’était un brave homme qui aimait les enfants et adorait son métier.


Pierre Mendès France avait décidé de lutter non seulement contre l’alcoolisme, mais contre les carences en vitamines chez les enfants.
C’est ainsi qu’un beau jour, notre concierge nous appela tous autour de lui. Dans son panier étaient alignées de petites bouteilles fermées par une capsule d’aluminium. Elles étaient remplies de ce qu’on allait bientôt appeler le « Lait Mendès ». A côté d’elles gisaient des pailles en plastique multicolores. La bonne nouvelle, c’était que le lait était gratuit. La meilleure, c’était qu’on pouvait choisir la couleur de sa paille, à l’aide de laquelle on perçait la capsule pour aspirer le lait. La mauvaise, c’était que la consommation de lait était obligatoire.
Or, j’adorais le lait, dont je faisais une grande consommation à la maison. Mais à la maison le lait était facultatif.
Je décrétai donc que j’étais allergique au lait obligatoire, et offris tous les jours ma bouteille (munie d’une paille systématiquement verte) aux copains. J’attendais ensuite stoïquement mon retour à la maison pour y boire à satiété du lait hors-la-loi.

L’autre grande nouveauté fut une initiative du « Haut Comité d’Etude et d’Information sur l’Alcoolisme Santé-Sobriété », qui fit distribuer en classe une collection de buvards en couleurs illustrant le « destin exemplaire » d’hommes célèbres. Parmi ceux-ci, je me souviens de l’inévitable Pasteur et de Blériot, mais il y en avait bien d’autres.

Ainsi, fouillant dans mes « archives prodigues » apparemment inépuisables, ai-je retrouvé le buvard consacré à Victor Fleming. En bas, on peut lire l’édifiant constat « Ce grand savant était sobre. C’est pourquoi il a pu mettre au service de la science la grande clarté de son esprit », suivi de l’ordre « Toi aussi, tu seras sobre ! »

J’étais sans doute déjà iconoclaste, comme tendraient à le prouver la barbe, la moustache et les toiles d’araignée (équipées d’araignées) dont j’ai affublé le pauvre Victor.

Surtout, des indices certains de mégalomanie précoce apparaissent sur « mon » buvard. A moins qu’il ne s’agisse de prémonition ?
Car, écrites au crayon noir, on distingue nettement les annotations suivantes : « Université Le Ri(bault) » (rien que ça !), « éprouvet(te) Le Riba(ult) », « Hôtel (Le Rib)ault » (en fait, l’illustration montre un hôpital), et une publicité incongrue pour les « biscuit(s) (Le Ri)bault » placardée dans un amphithéâtre de l’Académie de médecine.

En 1954, tout ceci ne prêtait guère à conséquence.
Mais aujourd’hui c’est la preuve incontestable, écrite de ma main (une simple expertise graphologique pourrait le confirmer), que, dès cette époque, je faisais de la publicité illégale pour un médicament non muni d’A.M.M.

Car sur l’image illustrant la fabrication à la chaîne des bouteilles de pénicilline, on lit distinctement l’inscription suivante : « Médicaments Le Rib(ault) » !

Autrement dit, j’avais prémédité l’infâmie et mûri pendant quarante-deux ans le projet qui allait me conduire en prison en 1996 et 2003, et me jeter sur les chemins de l’exil huit ans durant !

C’est grave. C’est très grave.

A moins qu’il n’ y ait prescription ? Et puis, j’étais mineur au moment des faits…